Interview
avril 2011
Eaux minérales ou
eaux de source en bouteille ? Eaux du robinet ? Eau filtrée ? Yann
Olivaux s’intéresse depuis plusieurs années aux différents « mondes de
l’eau » (hydrologie, gestion de l’eau, écologie, sciences de l’eau…) et
poursuit avec d’autres scientifiques ses
recherches sur les questions sanitaires liées aux eaux à boire.
Son point de
vue nous éclaire sur les certitudes acquises, les idées reçues et les
nombreuses questions irrésolues concernant le domaine des eaux de
boisson.
1) Quelle eau de boisson devrait-on boire aujourd’hui ?
A ce jour, il
n’est pas possible de répondre intégralement à cette question car l’eau est une
substance structurellement très complexe. Ensuite, le débat sur les qualités
des eaux de boissons est « brouillé » par le fait que son commerce
est l’objet d’énormes enjeux économiques.
De plus, il
faut s’accommoder de l’absence d’évaluation satisfaisante de l’impact sanitaire
sur le long terme de la qualité de l’eau par les normes actuelles. Il est à ce
titre important de prendre conscience que « l’eau que nous polluons
sera un jour notre eau intérieure, notre eau intime ».
2) Quelles eaux de boisson ou alimentaires trouve-t-on sur le marché
actuellement ?
On dispose
aujourd’hui de trois types d’offres d’eaux alimentaires :
L’eau du
robinet (ou du réseau) : elle est
traitée pour satisfaire aux quelques dizaines de paramètres de limites et de
références de qualité des EDCH (Eaux Destinées à la Consommation Humaine).
Les eaux
embouteillées : les eaux de source répondent aux normes EDCH. Pour
les eaux minérales, seuls les agréments de l’Académie nationale de médecine et
de L’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire et des Aliments) sont
requis.
Les eaux
filtrées, à partir essentiellement de l’eau du robinet, par
des Procédés de Purification de l’Eau (PPE). Ceux-ci ne font pas l’objet à ce
jour d’un encadrement législatif spécifique.
3) Comment faire un choix entre ces trois offres ?
Aucune solution
idéale, simple et universelle n’existe.
Cependant, je propose d’effectuer un comparatif entre les eaux du réseau et les eaux embouteillées à l’aide de trois critères majeurs de sélection afin de faciliter le choix de chacun en fonction de ses priorités.
Cependant, je propose d’effectuer un comparatif entre les eaux du réseau et les eaux embouteillées à l’aide de trois critères majeurs de sélection afin de faciliter le choix de chacun en fonction de ses priorités.
Le critère
économique : l’eau du réseau est de loin la plus économique car
elle coûte, en tenant compte du prix moyen du m3 au robinet, au
minimum 50 fois moins chère que le premier prix d’une eau de source en
bouteille. Les PPE requièrent une carafe filtrante ou une installation sur
robinet et des consommables.
Le critère
écologique : les eaux en bouteilles nécessitent
du pétrole pour fabriquer le contenant plastique (PET) mais ont surtout un bilan
carbone lourd en raison du transport. Les filtres pour les PPE sont peu
recyclés et recyclables et nécessitent trois litres d’eau pour produire un
litre d’eau purifiée. L’avantage est encore ici en faveur de l’eau du robinet.
4) Vous proposez un troisième
critère sanitaire ? Pouvez-vous expliquer ?
C’est à ce niveau que les
choses se compliquent.
Quelle est la définition réglementaire d’une eau potable ? C’est une eau conforme aux normes EDCH. Mais selon notre point de vue, une définition médicale devrait compléter la première avec le paramètre suivant : une eau potable est une eau qui, consommée tout au long de la vie, ne doit pas nuire pas à notre santé.
Or, il est légitime de
s’interroger sur l’impact sanitaire à terme des eaux du réseau comme des eaux
embouteillées au regard de l’inquiétante et indéniable flambée des maladies de civilisation
(cancers, diabète, pathologies neurodégénératives…) depuis plusieurs décennies.
En effet, qu’elles soient de
surface ou souterraines (eaux brutes), les eaux du robinet et
embouteillées, suite à la dégradation de l’environnement, contiennent
dans des proportions variables, des traces de nombreux polluants (résidus
médicamenteux et hormonaux, pesticides, métaux lourds, bactéries non
pathogènes mais porteuses de gènes d’antibiorésistance…).
De plus, pour les eaux
embouteillées, on constate qu’il y a possibilité de migration de substances
agissant comme des perturbateurs endocriniens entre le récipient en plastique
(PET) et son contenu. Je milite donc, avec d’autres scientifiques, pour la
promotion de nouvelles normes de la qualité des eaux, pour une eau
réellement « bio-compatible » que je définirai plus loin.
5) Quels sont donc ces procédés
de filtration qui améliorent la qualité de l’eau ?
Il en existe principalement
trois.
Le premier niveau de filtration est celui du charbon actif**en
granulés présent dans les carafes filtrantes. Celui-ci a un fort pouvoir
d’adsorption, c’est à dire que cette matière retient les molécules en surface.
Il s’agit d’un filtre de confort qui élimine le goût du chlore, certains métaux
lourds et les pesticides non solubles dans l’eau. Il faut veiller à remplacer
régulièrement le filtre pour éviter le risque de désorption*** du
charbon actif.
Le second niveau est celui de
la colonne filtrante se raccordant au robinet avec un filtre contenant
du charbon actif compressé ou fritté (réduit en poudre puis compacté en bloc)
dont l’efficacité est très largement supérieure à celle de la filtration sur
granulés. On en trouve sur le marché entre 100 et 150 €.
6) Quel est le troisième niveau
de filtration ?
L’osmose inverse est la
technologie membranaire la plus performante et efficace pour purifier l’eau
sans produit chimique.
Ce procédé est également
utilisé dans les usines de dessalement de l’eau de mer ou dans le monde
de l’aquariophilie. L’installation de ce système répond à la législation
française avec délivrance par les fabricants d’une attestation de conformité
sanitaire pour tout le matériel et les matériaux en contact avec l’eau. Il faut
toutefois veiller à reminéraliser cette eau qui purifiée est assez décapante
avec par exemple une pincée de sel de mer brut. Ce procédé requiert un
investissement compris entre environ 400 et 700 €, sans la pose et l’entretien.
Le choix du consommateur entre
l’un ou l’autre de ces procédés de filtration se fera selon ses priorités
sanitaires et son budget.
**Le
charbon actif peut être produit à partir de toute matière organique végétale
riche en carbone: bois, écorces, pâte de bois, coques de noix de coco, coques
de cacahuètes, noyaux d’olives, ou bien de houille, tourbe, lignite, résidus
pétroliers
***
Désorption : lorsque la capacité maximale d’adsorption a été atteinte (…),
il peut se produire un relargage brutal des produits toxiques et des bactéries
accumulées par saturation
8) Vous parliez d’eau
biocompatible ? Vous pouvez expliquer ?
De notre point de vue, une eau
de boisson biocompatible devrait respecter trois critères
fondamentaux : la potabilité, la pureté et la structuration.
1.
Sur le premier point, nous avons vu que les
critères de potabilité (normes EDCH) ne détectent que les polluants considérés
comme les plus délétères pour la santé. Mais finalement, vu leur nombre,
peu importe la quantité de molécules polluantes à détecter, on ne pourra jamais
toutes les détecter ! Cette démarche analytique et quantitative ne nous renseigne
pas sur une question essentielle à se poser : quel est leur effet sur le
vivant à long terme ?
2.
Le critère de la pureté de l’eau nécessite l'emploi de Procédés de Purification de l’Eau garantissant une qualité satisfaisante.
3.
Enfin, la structuration, ou dynamisation de
l’eau représente plusieurs centaines de systèmes (Procédés de Structuration de
l’Eau) qui attribueraient des vertus sanitaires à ces eaux modifiées.
9) Une eau osmosée et dynamisée
ne serait pas ainsi la meilleure solution ?
D’un point de vue sanitaire,
je pencherais pour cette option en émettant les réserves suivantes.
Premièrement, aucune méthode de dynamisation de l’eau n’a encore été
scientifiquement validée de manière pluridisciplinaire et surtout indépendante.
Deuxièmement, il s’agit surtout
d’être cohérent en termes économique , écologique et sanitaire en arrêtant la consommation d'eaux en bouteille plastique (qui se dégrade en plusieurs centaines d'années !)
Ainsi, s’il apparaît logique en
matière de précaution sanitaire de préconiser une filtration performante de
l’eau du robinet, il faut, me semble-t-il prendre conscience que cette
démarche ne doit pas nous autoriser à polluer davantage les eaux brutes. Le
réel progrès en matière de qualité de l’eau serait plutôt de se préoccuper de
réduire les trop nombreux polluants hydriques à la source.
10) Un mot de
conclusion ?
Je conclurai en parlant aussi
des économies d’eau.
Un Français moyen consommerait
environ 150 litres d’eau par jour pour ses usages domestiques (la part
d’eau d’alimentation se situant entre 3 et 5 litre par personne et par jour).
Mais en fait, chaque personne
utilise quotidiennement quelques 5000 litres dont 98% ne sont pas visibles. En
effet, ils correspondent à ce que l’on appelle l’eau virtuelle (voir article : empreinte en eau et eau virtuelle), c’est-à-dire l’eau utilisée
pour produire nos biens de consommation. L’essentiel de cette eau virtuelle
(75% environ) est contenue dans nos aliments.
A titre d’exemple, il faut 1500 à
2000 litres pour produire un kilogramme de blé, et environ 20 000
litres d’eau pour fabriquer un kilogramme de viande de boeuf. Par
conséquent, si toute économie d’eau est à préconiser, diminuer notre
« empreinte personnelle en eau » revient pour l’essentiel à
réduire notre consommation de viandes !
Propos recueillis par Lise
Dominguez.