mardi 29 septembre 2015

EAU ET BIOLOGIE (5) : L'eau dans l'orchestration de la machinerie cellulaire



Dans un article intitulé "Water in the orchestration of the cell machinery. Some misunderstandings: a short review" début 2012, la biologiste Pascale Mentré, auteure du premier livre sur "L'eau dans la cellule", nous livre une vision totalement renouvelée du statut et des rôles fondamentaux de l'eau cellulaire.  


Au regard des techniques modernes d'investigation notamment en biologie cellulaire, cette conception innovante et réaliste de l'eau, rouage majeur du fonctionnement de nos cellules, contraste fortement avec celle, obsolète et parcellaire, qui prévaut hélas toujours dans les tous les manuels de biologie et biochimie au monde qui servent de référence aux monde médical (médecins, nutritionnistes) et thérapeutique en général (naturopathes, diététiciens...). 

Il est urgent de rafraichir et d'intégrer ces connaissances essentielles sur l'eau (intra mais aussi extra)cellulaire  pour mieux comprendre la complexité du vivant

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L'eau dans l'orchestration de la machinerie cellulaire. Certains malentendus : une brève revue

Plan de l'article :

1 La mauvaise interprétation des images de microscopie électronique


2 L'eau interfaciale largement ignorée


3  La mésinterprétation des concentrations à l'intérieur de la cellule

31. L'ignorance des propriétés physiques des macromolécules associées à l'eau

32. La confusion entre formes libres et liées (chélatées,  séquestrées)

33. L'ignorance que la plupart des gradients de diffusion / concentration ne sont pas significatifs dans la cellule au niveau macromoléculaire


4 L'ignorance des modes itératifs de propagation des ions et des petites molécules


5 Qu'en orchestration des réactions à l'intérieur de la cellule?


6 Conclusion: «l'ordre issu de l'ordre"

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 Résumé :


"Aujourd'hui, les biologistes peuvent explorer la cellule au niveau du nanomètre. Ils découvrent un monde insoupçonné, étonnamment surpeuplé, complexe et hétérogène, dans laquelle l'eau, aussi, est complexe et hétérogène. 

Dans la cellule, les phénomènes statistiques, tels que la diffusion, longtemps considérés comme le transport principal pour les substances solubles dans l'eau, doivent désormais être considérées comme inopérante pour orchestrer l'activité cellulaire. A ce niveau, les résultats des recherches ne sont pas encore assez nombreux pour donner une représentation exacte de la machinerie cellulaire; Cependant, elles sont suffisantes pour cesser de raisonner en termes de statistiques (diffusion, la loi d'action de masse, pH, etc.) et d’encourager les biologistes et les biochimistes de prospecter intensément l'énorme panoplie des propriétés biophysiques des associations macromolécule-eau à l'échelle du nanomètre. 


Notre principal objectif, ici, est de discuter de certains des interprétations erronées les plus courantes en raison de l'ignorance de ces propriétés, et d'exposer brièvement les bases pour une meilleure approche de la machinerie cellulaire. Giorgio Careri, qui a démontré la corrélation entre les courants de protons à la surface du lysozyme et de l'activité de cette enzyme a été l'un des pionniers de cette approche.  


Conclusion: «l'ordre issu de l'ordre"

L’eau interfaciale eau, qui constitue la quasi-totalité de l'eau de la cellule, subit de nombreux changements physiques synchronisés avec les transformations macromoléculaires. Beaucoup de progrès ont été réalisés démontrant son rôle prééminent au niveau du nanomètre (macromolécule), concernant la reconnaissance, la régulation et la coordination (Robinson et Sligar ; revu par Mentré).

Mais ce problème de l'orchestration au micromètre (organites) niveau en est encore à ses balbutiements. L'organisation des organites est explorée avec une précision accrue, mais loin de rendre le problème plus clair, il le rend  de plus en plus complexe. Par exemple, il a été récemment montré que la mécanique du kinétochore, dirige le mouvement des chromosomes via les microtubules et favorise l'arrêt de cycle cellulaire, impliquant au moins une centaine de protéines.

Il est tentant de considérer que la cellule pourrait coordonner son activité en utilisant des signaux mécaniques et électromagnétiques. Les signaux mécaniques pourraient être initiés par des variations de densité de l'eau interfaciale accompagnées de variations de la configuration des macromolécules. Quant aux signaux électromagnétiques, il serait intéressant aujourd'hui de reconsidérer de manière plus approfondie les idées avancées dans les années 1990: le transfert de signaux constitués de lumière cohérente le long de l'eau interfaciale au sein des microtubules et la «vision» de la lumière infrarouge par le centrosome.

A travers les écrits d’Erwin Schrödinger, l'orchestration de la cellule se révèle être beaucoup plus sophistiquée que les biologistes ne l’avaient même envisagée, laissant de moins en moins de place à la dissipation thermique, qui prévaut in vitro, et exclut donc le chaos :

« . . . le comportement de la matière vivante, dont les caractéristiques les plus frappantes sont visiblement basées dans une large mesure sur le principe « de l’ordre issu de l’ordre ». (Erwin Schrödinger)" (Lire : "Qu'est-ce que la vie?"  




EAU ET BIOLOGIE (4) : Special Topic on Biological Water



La revue « The Journal of Chemical Physics » de décembre 2014 a fait paraitre un numéro spécial consacré à « L’eau biologique » 


Celui-ci présente une série de documents qui met en évidence un regard nouveau et évolutif du rôle de l'eau en biologie structurale ainsi que ses aspects dynamiques. L'eau est de plus en plus considérée  comme jouant un rôle actif et non passif dans les fonctions biologiques. Les domaines d’investigation envisagés comprennent les interfaces moléculaires avec de l'eau, l’auto-assemblage en biologie, les changements de conformation des macromolécules et les réactions chimiques.

Voici une traduction libre de la préface de ce numéro  :


"Le rôle unique de l'eau dans les systèmes vivants est reconnu depuis longtemps. En raison de sa nature de solvant majeur et puissant pour les substances polaires et de mauvais solvant pour les non polaires, l'eau dirige les processus d'auto-assemblage des protéines et le pliage des acides nucléiques, la formation de complexes biomoléculaires et de la membrane lipidique. Cependant, au-delà de la stabilisation des structures biomoléculaires, le rôle central de l'eau dans de nombreuses fonctions biologiques est de plus en plus reconnu et pris en compte, s’agissant notamment de la conduction protonique dans la conversion d'énergie biologique et de l’activation des canaux ioniques dans la transduction du signal biologique, ainsi que de la facilitation de la dynamique des protéines et l’allostérie (changement de conformation spatiale d’une protéine enzymatique).
 
A chaque décennie, de nouvelles connaissances émergent et notre compréhension du comportement des molécules dans un environnement aqueux se précise. La recherche en chimie physique sur les propriétés fondamentales de l'eau et des solutions aqueuses est allée de pair avec des études sur les propriétés biologiques de l'eau. Le résultat est une compréhension plus approfondie des rôles de l'eau dans les systèmes vivants, comme en témoignent les articles de ce numéro spécial.

Comment expliquer cet intérêt croissant pour l'eau biologique? Revisiter la dernière décennie permet de montrer qu’il y a un changement notoire de portée dans les recherches sur cette thématique. Plus particulièrement, il existe une investigation de plus en plus poussée pour comprendre la participation de l'eau dans des processus aussi divers que la diffusion et le transport, la solvatation, les interactions biomoléculaires et les changements conformationnels, l’auto-assemblage moléculaire et l'hydrophobie, la conduction ionique et protonique et la dynamique des réactions chimiques. L'eau n’est plus seulement un solvant modélisé comme un milieu diélectrique homogène. En effet, au-delà des propriétés et caractéristiques moléculaires de l'eau, ses rôles singuliers occupent un rôle central dans les processus physicochimiques ;  l'eau devient un participant actif dans les processus biologiques.

Le résultat est que le cadre conceptuel de "l’eau fonctionnelle" a considérablement évolué et que de surcroit, les représentations physiques classiques que nous avons des interactions entre l'eau et ses partenaires biomoléculaires sont obsolètes. Par exemple, la structure, la dynamique et les propriétés physiques de l'eau en interface avec les protéines sont intimement liées. Ces propriétés interactives dépendent étroitement d'autres partenaires, que ce  soit des ions, des solutés qui possèdent des interactions spécifiques ou non avec la protéine ou des contraintes physiques qui conditionnent ou confinent ce système. Lorsque qu’on parle de la flexibilité, du pliage, ou des  liaisons moléculaires, l'eau de solvatation est souvent un partenaire à part entière dans la description de la dynamique de ces processus. Le comportement collectif des liaisons hydrogène entre molécules d'eau, occupe également une place prédominante dans les études sur l'hydrophobie et le démouillage, le confinement de l'eau, la réorganisation des liaisons hydrogène, ou les états de vibrationnels et électroniques. L'eau est également au centre de la conversion de l'énergie en biologie et de nombreuses réactions biochimiques, en servant également de fil conducteur pour le transport rapide de protons de type Grotthuss.

Une partie de cette évolution vers une conception moléculaire de l'eau biologique provient des résultats de nouveaux moyens de recherche, auparavant inaccessibles. De nouvelles techniques expérimentales permettent de comprendre le comportement moléculaire de cette eau biologique, précédemment masqué par la signature de l’eau dans la masse (bulk water). Des méthodes expérimentales dans des domaines tels que l’optique ultrarapide, les spectroscopies infrarouge et terahertz, les résonances magnétiques nucléaire et électronique, ainsi que celle par rayons X et la spectroscopie de diffusion des neutrons, permettent d’avancer dans la résolution structurelle et temporelle. La nécessité d'interpréter ces expériences de complexité croissante a stimulé l'évolution rapide d’outils théoriques et de simulations moléculaires afin d’en unifier les principes physiques. Les méthodes computationnelles ont émergé et mettent en évidence la structure moléculaire explicite ainsi que  sa connexion avec les processus biomoléculaires. Même les phénomènes intrinsèques de mécanique quantique telle que la dynamique chimique sont comprises plus en détail avec ces études informatiques. Ces nouvelles capacités expérimentales et théoriques ont permis aux spécialistes en chimie physique de passer de systèmes modélisés aux problèmes relevant de la biologie.

Dans ce numéro spécial, nous mettons en exergue des  études empiriques - mais non explicatives - du rôle de l'eau au niveau moléculaire dans sa structure, sa dynamique et sa fonction. Celles-ci prennent en compte un des champs d’exploration que nous considérons comme important dans la recherche actuelle et future: (1) les propriétés physiques des interfaces moléculaires entre l'eau et les biomolécules d’une échelle allant de 10-11 à  10-8 m, et leurs influences sur les réactions chimiques et la solubilité; (2) le rôle de l'eau dans l'auto-assemblage de biomolécules et des membranes, y compris l'agrégation et l'effet hydrophobe; (3) la participation de l'eau dans les changements conformationnels de grande amplitude, tels que ceux qui se produisent dans le pliage, l’allostérie, le déclenchement de mécanismes biochimiques (« Gating ») ou de signalisation; (4) le rôle de médiation de l'eau dans les interactions spécifiques entre les molécules, par exemple, dans la reconnaissance intermoléculaire et les liaisons; (5) Le rôle de l'eau dans la conversion de l'énergie biologique, incluant la catalyse, le transport de charge, et la génération de forces; et (6) comment l’interaction de l’eau avec des ions gouverne les propriétés électriques qui vont du transport des protons et des pKa (constante d’acidité) au potentiel de membrane. Notre espoir est que ce travail d’information souligne ces différents axes de recherche et encourage d’autres chercheurs à investiguer et à faire progresser ce domaine de recherche."

Référence :