La revue « The Journal of Chemical Physics » de
décembre 2014 a fait paraitre un numéro spécial consacré à « L’eau
biologique »
Celui-ci présente une
série de documents qui met en évidence un regard nouveau et évolutif du rôle de
l'eau en biologie structurale ainsi que ses aspects dynamiques. L'eau est de
plus en plus considérée comme jouant un
rôle actif et non passif dans les fonctions biologiques. Les domaines d’investigation
envisagés comprennent les interfaces moléculaires avec de l'eau, l’auto-assemblage
en biologie, les changements de conformation des macromolécules et les
réactions chimiques.
Voici une traduction libre de la préface de ce numéro :
"Le rôle unique de l'eau dans
les systèmes vivants est reconnu depuis longtemps. En raison de sa nature de
solvant majeur et puissant pour les substances polaires et de mauvais solvant
pour les non polaires, l'eau dirige les processus d'auto-assemblage des protéines
et le pliage des acides nucléiques, la formation de complexes biomoléculaires
et de la membrane lipidique. Cependant, au-delà de la stabilisation des
structures biomoléculaires, le rôle central de l'eau dans de nombreuses
fonctions biologiques est de plus en plus reconnu et pris en compte, s’agissant
notamment de la conduction protonique dans la conversion d'énergie biologique
et de l’activation des canaux ioniques dans la transduction du signal
biologique, ainsi que de la facilitation de la dynamique des protéines et l’allostérie
(changement de conformation spatiale d’une protéine enzymatique).
A chaque décennie, de nouvelles
connaissances émergent et notre compréhension du comportement des molécules
dans un environnement aqueux se précise. La recherche en chimie physique sur
les propriétés fondamentales de l'eau et des solutions aqueuses est allée de
pair avec des études sur les propriétés biologiques de l'eau. Le résultat est
une compréhension plus approfondie des rôles de l'eau dans les systèmes
vivants, comme en témoignent les articles de ce numéro spécial.
Comment expliquer cet intérêt croissant
pour l'eau biologique? Revisiter la dernière décennie permet de montrer qu’il y
a un changement notoire de portée dans les recherches sur cette thématique.
Plus particulièrement, il existe une investigation de plus en plus poussée pour
comprendre la participation de l'eau dans des processus aussi divers que la
diffusion et le transport, la solvatation, les interactions biomoléculaires et
les changements conformationnels, l’auto-assemblage moléculaire et
l'hydrophobie, la conduction ionique et protonique et la dynamique des réactions
chimiques. L'eau n’est plus seulement un solvant modélisé comme un milieu
diélectrique homogène. En effet, au-delà des propriétés et caractéristiques moléculaires
de l'eau, ses rôles singuliers occupent un rôle central dans les processus
physicochimiques ; l'eau devient un
participant actif dans les processus biologiques.
Le résultat est que le cadre conceptuel de "l’eau fonctionnelle" a considérablement évolué et que de surcroit, les représentations physiques classiques que nous avons des interactions entre l'eau et ses partenaires biomoléculaires sont obsolètes. Par exemple, la structure, la dynamique et les propriétés physiques de l'eau en interface avec les protéines sont intimement liées. Ces propriétés interactives dépendent étroitement d'autres partenaires, que ce soit des ions, des solutés qui possèdent des interactions spécifiques ou non avec la protéine ou des contraintes physiques qui conditionnent ou confinent ce système. Lorsque qu’on parle de la flexibilité, du pliage, ou des liaisons moléculaires, l'eau de solvatation est souvent un partenaire à part entière dans la description de la dynamique de ces processus. Le comportement collectif des liaisons hydrogène entre molécules d'eau, occupe également une place prédominante dans les études sur l'hydrophobie et le démouillage, le confinement de l'eau, la réorganisation des liaisons hydrogène, ou les états de vibrationnels et électroniques. L'eau est également au centre de la conversion de l'énergie en biologie et de nombreuses réactions biochimiques, en servant également de fil conducteur pour le transport rapide de protons de type Grotthuss.
Une partie de cette évolution
vers une conception moléculaire de l'eau biologique provient des résultats de
nouveaux moyens de recherche, auparavant inaccessibles. De nouvelles techniques
expérimentales permettent de comprendre le comportement moléculaire de cette
eau biologique, précédemment masqué par la signature de l’eau dans la masse
(bulk water). Des méthodes expérimentales dans des domaines tels que l’optique ultrarapide,
les spectroscopies infrarouge et terahertz, les résonances magnétiques
nucléaire et électronique, ainsi que celle par rayons X et la spectroscopie de
diffusion des neutrons, permettent d’avancer dans la résolution structurelle et
temporelle. La nécessité d'interpréter ces expériences de complexité croissante
a stimulé l'évolution rapide d’outils théoriques et de simulations moléculaires
afin d’en unifier les principes physiques. Les méthodes computationnelles ont
émergé et mettent en évidence la structure moléculaire explicite ainsi que sa connexion avec les processus
biomoléculaires. Même les phénomènes intrinsèques de mécanique quantique telle
que la dynamique chimique sont comprises plus en détail avec ces études
informatiques. Ces nouvelles capacités expérimentales et théoriques ont permis aux
spécialistes en chimie physique de passer de systèmes modélisés aux problèmes
relevant de la biologie.
Dans ce numéro spécial, nous mettons
en exergue des études empiriques - mais non
explicatives - du rôle de l'eau au niveau moléculaire dans sa structure, sa
dynamique et sa fonction. Celles-ci prennent en compte un des champs
d’exploration que nous considérons comme important dans la recherche actuelle
et future: (1) les propriétés physiques des interfaces moléculaires entre l'eau
et les biomolécules d’une échelle allant de 10-11 à 10-8 m, et leurs influences sur les
réactions chimiques et la solubilité; (2) le rôle de l'eau dans
l'auto-assemblage de biomolécules et des membranes, y compris l'agrégation et
l'effet hydrophobe; (3) la participation de l'eau dans les changements
conformationnels de grande amplitude, tels que ceux qui se produisent dans le
pliage, l’allostérie, le déclenchement de mécanismes biochimiques
(« Gating ») ou de signalisation; (4) le rôle de médiation de l'eau dans
les interactions spécifiques entre les molécules, par exemple, dans la
reconnaissance intermoléculaire et les liaisons; (5) Le rôle de l'eau dans la
conversion de l'énergie biologique, incluant la catalyse, le transport de
charge, et la génération de forces; et (6) comment l’interaction de l’eau avec
des ions gouverne les propriétés électriques qui vont du transport des protons
et des pKa (constante d’acidité) au potentiel de membrane. Notre espoir est que
ce travail d’information souligne ces différents axes de recherche et encourage
d’autres chercheurs à investiguer et à faire progresser ce domaine de recherche."
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